Avec Michel Pinçon, la sociologue Monique Pinçon-Charlot fait partie des deux-cents personnalités qui ont appelé à manifester le 12 avril « contre l’austérité, pour l’égalité et le partage des richesses ». Elle s’exprime sur la politique du PS et les formes de la contestation.
Regards. La mobilisation actuelle contre les politiques de François Hollande est-elle suffisante ?
Monique Pinçon-Charlot. Non, la contestation n’est pas à la hauteur de la gravité de la situation. Il nous a donc paru normal de répondre positivement à la proposition qui nous a été faite d’appeler à la manifestation contre l’austérité. Ce mouvement unitaire qui rassemble le Front de gauche et le NPA, Solidaires, la FSU ou encore Attac, va dans le bon sens. Même si je ne me fais pas d’illusion sur les objectifs variés des partis qui appellent à cette manifestation. Organisé entre les municipales et les européennes, l’événement sert à mobiliser un électorat qui pourrait être tenté de boycotter ces échéances, afin de le convaincre de voter Front de gauche au premier tour et blanc au second en l’absence de candidats de la vraie gauche, dans laquelle le PS ne mérite plus d’être catalogué.
C’est aussi une tentative de redonner de la visibilité à la gauche face au poids des droites dans l’espace public et médiatique ?
Absolument. On nous vole notre langage, notre visibilité dans la rue, notre solidarité pour mieux nous diviser. Il ne nous restera bientôt ce que j’appelle la "guerre des petits chefs" et nous serons alors tristement minables. Face à nos difficultés à être présents dans les médias, nous regrettons beaucoup le manque de visibilité de la gauche radicale dans l’espace public qui nous appartient.
À chaque fois, les "révolutions arabes" se sont déroulées à partir d’une place ou d’un square devenus le lieu de rassemblement des mécontents de tout poil. Ce que je vais dire peut paraître naïf, mais pourquoi n’organiserions-nous pas des manifestations ciblées ? Pour passer au journal de 20 heures, il faut être visible et provocant, comme lorsque l’association Droit au logement a organisé avec notre aide une manifestation à Neuilly, pour protester contre le fait que celle ville refuse de construire des HLM. Il n’y avait pas beaucoup de monde mais beaucoup de casseroles. Et scotchés à leur balcon, parfois agressifs, les Neuilléens n’en revenaient. Il ne faut pas laisser l’oligarchie tranquille.
Aujourd’hui, nous pourrions imaginer un cortège ciblé sur le thème de la finance spéculative, avec un meeting devant Goldman Sachs, la BNP, la Société générale ou l’agence de notation Fitch Ratings. Nous pourrions aussi envisager un énorme pique-nique militant dans le bois de Boulogne, par exemple, pour expliquer que 25 hectares sont squattés par les plus riches, avec la complicité de la municipalité socialiste de Paris.
Les rituels que sont les manifestations traditionnelles sont-ils dépassés ?
Non. L’un n’empêche pas l’autre et on a besoin des grandes messes. Les grands bourgeois baignent dans des rituels qui les rendent plus forts. Pour nous, c’est pareil : il reste important et rassurant de se voir, de se compter, de se retrouver.
Les intellectuels ont-ils un rôle à jouer particulier dans l’organisation de la contestation ?
Nous souhaitons les impliquer au cœur du dispositif des partis, par exemple au travers d’associations provisoires, en créant une dynamique d’appel à des spécialistes de certains sujets en fonction des manifestations ciblées.
J’aimais bien l’idée du Front de gauche de permettre à chacun de conserver sa spécificité et à tout le monde d’avancer main dans la main. Partis politiques et intellectuels devraient davantage travailler ensemble ! En ce qui nous concerne, nous n’avons pas de mal à nous frotter au PCF, au Parti de gauche, au NPA et même à LO qui nous avait invités au printemps. Cette relation d’échange nous rend service mutuellement. Aujourd’hui, je ne suis pas sûre que beaucoup d’intellectuels pourraient valider cela. Pourtant, ce que nous avons réalisé devrait être généralisé.
Vous revenez dans votre dernier livre, La Violence des riches (éd. Zones, 2013), sur la longue histoire des « trahisons » du Parti socialiste…
La conversion, ou plutôt la trahison totale de la gauche socialiste, est mise en place en 1982. C’était déjà le dessein de François Mitterrand qui, pour essayer d’éradiquer l’énorme contestation portée par le Parti communiste, avait décidé d’épouser ce dernier et de le tuer. Les difficultés davantage idéologiques qu’économiques liées aux nationalisations ont permis de créer l’événement de 1982 [Le tournant de la rigueur, ndlr].
Le livre de François Hollande, La gauche bouge, fait partie des divers épisodes qui actent le fait que la gauche est définitivement acquise au néolibéralisme, au nom de la modernité et du changement. Tout s’embrase en 1986, quand Pierre Bérégovoy et son directeur de cabinet Jean-Charles Naouri libéralisent tous les marchés à court et long terme. Et dès que le mur de Berlin s’écroule, Jacques Delors, alors à la Commission européenne, n’a de cesse d’être à la botte des patrons européens qui exercent des pressions énormes pour intégrer les anciens pays d’Europe de l’Est afin de faire du dumping social et déréguler le marché du travail. La directive sur les travailleurs détachés de décembre 2013 est en réalité mise en place depuis 1991. Aujourd’hui, cette politique se systématise.
Êtes-vous étonnée que François Hollande n’ait pas infléchi sa politique à l’issue de municipales aux résultats catastrophiques pour le PS ?
On ne s’attendait pas à autre chose ! Nous ne vivons plus du tout dans une démocratie représentative, les élections sont données en pâture aux classes moyennes intellectuelles, pour leur faire croire qu’elles sont dans un pays démocratique et de respect des droits de l’Homme.
En réalité, les riches mènent une guerre des classes qui est terrible et le sera bien plus à l’avenir. Nous ne nous faisions donc aucune illusion. Je viens d’avoir un banquier au téléphone qui me dit : « Je ne suis ni de droite ni de gauche, mais je peux vous assurer que pour la banque, les socialistes c’est très bien ».
Quant au Pacte de solidarité, c’est un écran de fumée, car il propose des mesures incompatibles avec un Pacte de responsabilité aux ordres du Medef qui va aboutir à des économies par dizaines de milliards d’euros.
Les remous au sein de l’aile gauche du PS, qui appelle à « un tournant économique majeur », témoignent-ils d’un cap franchi par ce parti ?
Je suis embarrassée. J’ai découvert l’aile gauche du PS à la Rochelle dans une table ronde à laquelle j’ai participé avec les ministres Benoît Hamon et Bernard Cazeneuve, autour des paradis fiscaux. Lesquels sont pour eux une espèce d’entité réifiée qui attaque les États. Je suis intervenue pour préciser que la classe oligarchique leur est transversale et que Bercy est le lieu d’une complicité entre ces deux échelons. Un ministre socialiste du Budget a eu de l’argent dans des paradis fiscaux !
J’ai été invitée à déjeuner à Bercy par Marie-Noëlle Lienemann, Jérôme Guedj et Benoît Hamon, mais je reste malgré tout très perplexe. Attendons de voir le résultat du vote de confiance qu’ils vont sûrement approuver. Leur parole est visible, pas la nôtre, ils ont accès aux médias, pas nous.
La droite et le PS se fichent bien que l’on dénonce un système inégal et des injustices. La seule chose sur laquelle ils ne plaisanteront jamais, c’est notre capacité à envisager le changement.
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