Il ne faudrait pas que les grandes vagues des unités de bruit médiatique engloutissent une seconde fois les naufragés de Lampedusa. Les pourtours de cette belle île italienne, placée entre l’Europe et l’Afrique, sont régulièrement transformés en morgue à ciel ouvert. Des dizaines de milliers de migrants, fuyant les guerres, les persécutions, les misères et les famines, venus du Sahel, du Bengladesh, d’Irak, d’Erythrée, d’Afghanistan, de Syrie, voient cette île comme une porte d’entrée en Europe. Ils fuient leurs misérables conditions de vie, leur insécurité, pour accéder à la liberté, à un avenir meilleur.
Ils y viennent après avoir subi le chantage de passeurs mafieux sans scrupules, au prix d’un endettement à vie de leurs familles. Et quand ils arrivent à mettre le pied sur les terres européennes, ils sont parqués au port de Lampedusa des jours et des semaines, avant d’entamer un vrai parcours du combattant, fait de contrôles divers, d’humiliations, d’enfermements dans des centres de rétention.
La semaine dernière, une nouvelle fois, un bateau transportant cinq cent femmes, enfants, hommes, venus de Somalie et d’Erythrée n’a pas résisté aux forces déchaînées de la mer. Elle les a engloutis pour rejeter certains d’entre eux sur les plages, aux lueurs du petit matin. C’est horrible ! C’est insoutenable pour tout être de cœur et de raison.
Cette tragédie n’est pas la première. La maire de Lampedusa a eu beau alerter, rien n’est venu stopper un défilé presque continu d’embarcations dont on ne parle jamais.
On estime ainsi, à près de vingt mille le nombre de celles et ceux qui, ces vingt cinq dernières années, ont perdu la vie pour tenter de rejoindre ce qu’ils imaginaient être pour eux un eldorado, comparé à leur terrible situation. Oui, vingt mille ! Il y a à peine deux semaines, treize érythréens avaient déjà été découverts morts au large de la Sicile. Cent dix sept syriens, fuyant l’enfer de leur pays, avaient été arraisonnés la semaine dernière au large de Syracuse.
On a profondément honte de savoir que parmi nos frères humains, une partie n’a le choix que de périr dans la misère et la guerre ou de mourir à nos pieds, sur les côtes de notre Europe. Les larmes de crocodile de certains dirigeants européens ne peuvent cacher soit leur coupable inaction, soit leurs orientations politiques et économiques qui ne peuvent conduire qu’à ces dramatiques situations.
La liberté totale de circulation des capitaux s’accompagne d’un filtrage de l’entrée des personnes dans une Europe forteresse. L’agence européenne, chargée de la protection des frontières externes de l’Union européenne, repousse les candidats à l’exil sur des routes toujours plus dangereuses, tenues par des passeurs sans scrupules. Et ceux qui réussissent leur entrée, subissent une sorte de criminalisation avec l’application de la directive européenne dite « retour » qui les repousse toujours plus vers l’illégalité.
Une telle approche conduit à reléguer ces personnes malheureuses encore plus dans la clandestinité, sans aide, sans informations sur leurs droits, sans protections judiciaires et sociales. Un parcours qui favorise tous les abus et les exploitations de toutes sortes.
Un déplacement du Président de la Commission européenne sur place n’y suffira donc pas. Il est indispensable de renouer avec des actes concrets de solidarité, d’humanisme. L’urgence serait d’ouvrir un couloir humanitaire pour les réfugiés et d’examiner chacune de leur situation et leurs demandes, sans susciter, de quelque manière que ce soit, la division, le rejet de l’autre et toute forme de racisme.
Il n’y a pas d’issue pour notre commune humanité sans solidarité, sans une lutte acharnée contre la misère et la pauvreté, véritable terreau d’où surgissent des réseaux terroristes, intégristes, et où la violence et les guerres enterrent la liberté et la démocratie.
Solidarité signifie que les pays européens doivent se répartir l’effort d’accueil des migrants ainsi que les procédures d’asile ou de régularisation. Mais, au-delà, c’est un nouveau monde de coopération que l’Union européenne devrait impulser pour aider les pays de la corne de l’Afrique, mais aussi du Maghreb à sortir de la misère. L’entraide et la coopération sont les seuls moyens de sortir de l’inhumanité et des divisions actuelles. Elles sont un devoir.
Nous sommes toutes et tous, par delà les frontières, la communauté humaine. Et le grand devoir provient surtout du fait que ces migrants viennent, la plupart du temps, de pays dans lesquels nos firmes multinationales, à base européenne, vont piller les richesses naturelles et surexploiter les populations, tout en développant le chômage et en impulsant le démantèlement des droits sociaux en Europe. Le salarié et le chômeur français sont victimes de la même multinationale, de la même banque que le somalien ou l’érythréen. Les discours stigmatisant l’autre, celui venu d’ailleurs, sont dangereux humainement et politiquement.
Comment comprendre que le gouvernement, prêt à déclencher des frappes en Syrie, est aussi celui qui chasse quelques exilés syriens en grève de la faim au port de Calais ? Comment comprendre et accepter ces campagnes délirantes contre les « Roms », de la part des mêmes qui discourent sans cesse sur cette Europe qui, selon eux, devait « ouvrir une ère de prospérité ». La terrible et triste réalité, c’est que les « Roms » comme les exilés « d’ailleurs », ne sont que les victimes d’un monde où prédomine la misère quand une infime minorité se gave de milliards d’euros. Où la corruption et l’accaparement des pouvoirs enferment des peuples dans des prisons à ciel ouvert à l’heure où l’information est instantanée et mondialisée.
Il n’y a pas d’avenir sans imaginer un monde commun où prédomine le partage, la coopération, la solidarité et un mouvement général d’émancipation pour que Lampedusa redeviennent la belle île bercée par les chaleurs de la Méditerranée et non le cimetière marin des migrations du monde.
Patrick Le Hyaric